mercredi 24 juin 2009
La corruption de la République
Comment qualifier le phénomène auquel on assiste depuis des années sinon de « corruption », au sens d’une corrosion lente de notre esprit républicain ? Ce processus, qu’il faut analyser en détail, n’est d’ailleurs pas sans rapport avec le « déshonneur des élites » auquel j’avais fait allusion voici quelque temps. Il en est en réalité une nouvelle manifestation.
Jacques Chirac a incontestablement ouvert la voie. Je ne veux pas ici faire allusion aux innombrables affaires auxquelles l'ancien Président de la République a été mêlé, mais à la manière dont il a exercé sa fonction : la pratique institutionnelle étant devenue alors de pure convenance personnelle. Que l’on se souvienne :
* Une dissolution décidée en 1997 uniquement pour ne pas avoir à faire appel à la fraction de la majorité qui n’avait pas soutenu sa candidature…
* Le refus de tirer les conséquences des conditions de sa réélection obtenue pourtant à 80%, en restant concentré sur son camp, j’oserais dire sur son clan…
*Le maintien contre vents et marées, malgré les déconvenues électorales et au point de faire perdre le référendum sur le Traité constitutionnel, d’un Premier ministre déconsidéré, Jean-Pierre Raffarin, pour ne pas avoir à nommer Nicolas Sarkozy à la tête du Gouvernement…
* Et pour clore la séquence, l’annonce du maintien de la loi sur le CPE et, dans le même mouvement, celle de sa modification immédiate, cédant, au prix du ridicule, à la pression de son Premier ministre d’alors…
Jamais un chef de l’État n’aura autant donné l’impression de l’avoir été aussi peu.
Le processus amorcé depuis l’élection de Nicolas Sarkozy est de nature différente mais aboutit au même résultat. Son objectif n’est pas, contrairement à l’esprit de la Vème République, de rassembler les Français autour d’un projet, mais au contraire de diviser à l’extrême ses adversaires en jouant de leurs antagonismes, en profitant surtout de leurs faiblesses, au point de les priver de toute crédibilité. Et il y parvient au-delà du raisonnable.
La République est, en effet, en déséquilibre puisque le chef de l’État fait tout pour ne plus avoir en face de lui de véritable opposition, c'est-à-dire, non pas une force capable de le critiquer (elle ne s'en prive pas), mais d’offrir une alternative à sa politique et à son action. La réunion du Congrès en témoigne à l’excès : l’intervention du chef de l’État a suscité immédiatement la dispersion de ses opposants sur des lignes antagonistes. Si bien qu’à la parole présidentielle n'a répondu qu’une cacophonie de grognements et de protestations plutôt qu’un discours articulé. Le ton qu'il a employé a le même objet : après son intervention devant l'OIT, il s'agit d'occuper un espace idéologique qui va de la droite au centre gauche, mêlant les références à Jaurès et Albert Thomas à l'exigence d'une régulation économique et sociale que les altermondialistes pourraient faire leur.
Ne reste plus, sur son piédestal, que la figure du chef de l’État. Les conséquences de cette situation sont évidemment redoutables : nos citoyens perdent confiance ; les corps intermédiaires de toute sorte sont vidés de leur substance ; le dialogue social instrumentalisé. La « corruption » de la République est bien à son comble : si l’on peut régner sur un champ de ruines, on ne peut gouverner ainsi une République…
Gaëtan Gorce
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